Qui n’a pas entendu parler de l’uberisation de l’économie ? Bien entendu à part ceux qui n’ont pas encore entendu parler de l’arrivée de Neymar au PSG ou de la prochaine tenue des JO en France ? Personne ? Et c’est bien normal, c’est fait pour, pourrait-on dire. C’est même assez bien foutu si vous me permettez l’expression…
Quelques précisions s’imposent pour cet article qui se veut le plus précis et court possible. Tout d’abord voici la définition d’uberisation trouvée ce 27 septembre août 2017 sur Wikipedia :
L’uberisation (ou ubérisation), du nom de l’entreprise Uber, est un phénomène récent dans le domaine de l’économie consistant en l’utilisation de services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi instantanée, grâce à l’utilisation des nouvelles technologies. La mutualisation de la gestion administrative et des infrastructures lourdes permet notamment de réduire le coût de revient de ce type de service ainsi que les poids des formalités pour les usagers. Les moyens technologiques permettant l’« uberisation » sont la généralisation du haut débit, de l’internet mobile, des smartphones et de la géolocalisation. L’uberisation s’inscrit de manière plus large dans le cadre de l’économie collaborative. Ce concept s’oppose en fait à celui connu depuis des générations, et particulièrement depuis les trente glorieuses, c’est-à-dire le monde fixe et réglementé du salariat.
La définition est assez juste, quoi qu’encore imprécise. D’une part parce que l’utilisation de ce terme induit dans l’esprit des uns et des autres aussi une notion de précarisation du travail, absente de cette définition, tant en terme de sécurité que de niveau de rémunération, ensuite parce que l’uberisation regroupe en un seul terme au moins quatre types de situations qui méritent d’être distinguées.
- Evolution profonde de métiers existants qui apportent au client final une véritable amélioration (Uber par exemple)
- Apparition de nouveaux métiers ou réapparition de services disparus sous une forme nouvelle
- Externalisation de certains métiers faisant partie auparavant de l’entreprise
- Apparition de nouveaux services (Airbn’B, Le Bon Coin)
Bien qu’uberisation semble vouloir mettre dans le même « panier » beaucoup de choses (entreprises, nouveaux services, précatisation de l’emploi, etc…) ce fourre-tout conceptuel masque des réalités complexes.
Une évolution profonde de métiers existants et l’apparition de nouveaux
Ce qui suit ne sera pas pour plaire aux premiers concernés, mais ce sont nos expériences d’utilisateurs qui parlent : chers, parfois crades, souvent peu aimables et roublards, n’acceptant toujours pas la carte bancaire les chauffeurs de taxi ont tué eux-mêmes leur activité. Et encore, c’est sans parler du coût de la licence de Taxi (qui est en fait une Autorisation de Stationnement), dont l’existence et les montants (de 50 à 300 000€ selon les villes) ont largement favorisé le verrouillage de la profession. Était-ce l’effet attendu ?
On ne peut nier qu’Uber et les VTC apportent aux clients une véritable amélioration dans leur expérience de voyage. Jean-Baptiste Daubié, dans son témoignage dans un billet sur le Nouvel Observateur, présente les contraintes qui pèsent sur les taxis, sans commune mesure avec celles qui pèsent sur les chauffeurs Uber. Ces derniers, toutefois, voient leurs rémunérations diminuer régulièrement et se trouvent contraints d’effectuer un nombre croissant de trajets pour assurer un niveau de vie suffisant… qui reste faible. Encore des travailleurs pauvres…
Quant aux services de portage de repas à domicile, le plus souvent par des cyclistes tortufiés1, ils se sont positionnés depuis quelques années sur un secteur en plein développement. Foodora et Deliveroo prennent une marge de 20 à 30%, promettant de doubler ou de tripler les ventes2. Les livreurs sont désormais quant à eux payés à la course (environ 5,75€).
Tous sont auto-entrepreneurs, un statut particulier qui fait d’eux des travailleurs indépendants, devant assurer leur propre protection sociale, ce qui ne manque pas de les installer de même dans une plus grande précarité.
L’idée ici est de faire porter le « risque » de l’embauche par les auto-entrepreneurs eux-mêmes. De la sorte, ces entreprises allègent considérablement leur risque et font de ce qui aurait été une charge salariale un coût fixe directement indexé sur le chiffre d’affaire lié aux ventes finales. C’est très malin. Pas de travail, pas de charge.
Ces différents nouveaux services ou métiers n’auraient pas pu voir le jour sans l’existence de ce statut qui, rappelons-le, a vu le jour le 1er janvier 2009.
La commission pour la libération de la croissance française
Dans son premier rapport pour la libération de la croissance française, paru en 2008 aux éditions XO, la commission présidée par Jacques Attali actait 300 décisions pour relever un pays « menacé de déclin, par son endettement, son chômage et son insuffisante préparation à l’économie du savoir. » La commission promouvait « une mobilisation générale pour libérer la croissance et donner un avenir aux générations futures » et le site http://www.liberationdelacroissance.fr/ était créé.
Parmi ces 300 décisions, on trouvait l’introduction de la simplification d’accès à certaines professions, la suppression des numerus clausus de certaines d’entre elles, ainsi que des facilités pour la création des activités d’auto-entrepreneurs.
Le rapport de la commission Attali paru en 2010 allait encore plus loin, porté sans doute par le formidable engouement autour de la création d’entreprises, dopé par la création du régime d’auto-entrepreneur que le premier rapport préconisait.
Uber est né en mars 2009…
Externalisation de certains métiers
Ces entreprises ne sont pas les seules entreprises à « utiliser » des auto-entrepreneurs pour exister. Selon la revue du Digital La poste recrute même des auto-entrepreneurs en masse ! C’est ce que présentait déjà en 2013 cet article du Figaro Economie où l’on pouvait voir qu’alors 30 à 40% des livraisons du dernier kilomètre étaient effectuées par des indépendants. 4 ans après, où en est la proportion de livreurs indépendants ? Nous n’avons pas trouvé de données, mais tout porte à croire qu’elle n’a cessé d’augmenter.
Alors Uberisation ou Attalisation ?
Uber n’est ni un cas isolé ni un modèle qui à lui seul résumerait ces nouveaux modèles économiques qualifiés de « disruptifs », un qualificatif à la mode qui tend à faire oublier que de tout temps de nouvelles technologies ont conduit à des évolutions de société.
Ce qui change fondamentalement aujourd’hui est la place du contrat de travail dans notre économie ainsi que la réglementation de certaines professions, dont le sens qui avait présidé à leur mise en place disparaît peu à peu au profit de la croissance et de la lutte contre le chômage.
Des évolutions toutes très largement inspirées par Jacques Attali, le chantre de cette nouvelle économie, et dont certaines sont fort heureusement bienvenues et nécessaires.
Je rêve d’une société où il n’y aurait pas de retraite, où travailler serait naturel. Jacques Attali, avril 2015 dans un entretien avec Le Monde
Oui, Monsieur Attali, mais vous semblez oublier que si votre travail présente en effet de très nombreux attraits pour vous permettre de l’exercer, tout autour de vous se trouvent des restaurateurs, des tailleurs, des imprimeurs, des rédacteurs, des serveurs, des boulangers, des ouvriers… Vous pouvez rêvez, certes, mais lorsqu’on ouvre un peu les yeux sur les différents métiers qui existent et les conditions dans lesquels, souvent, ils s’exercent, votre place et votre rang obligeraient à un peu de pudeur et de décence. Peu de citoyens peuvent prétendre comme vous vouloir pouvoir travailler toute leur vie, c’est un peu leur faire injure que d’exprimer de tels rêves.
Donc il serait fort logique et bienséant de parler d’attalisation de l’économie en lieu et place d’uberisation, ne serait-ce que dans l’idée d’introduire aussi dans ce concept l’idée que ces évolutions ne sont pas, et loin de là, que négatives. Attalisation serait ainsi plus louable, et largement, que taylorisation.
Et n’oublions pas qu’ici comme en politique ou sur bien d’autres sujets les citoyens exercent déjà leur pouvoir par leurs actes au quotidien. Ce qui n’irait pas bien dans cette attalisation de l’économie dépend aussi de chacun (lire l’article sur la galère des bikers de deliveroo).
Airbn’b participe t’elle de l’attalisation de l’économie ?
Le cas de Airbn’b est très différent puisque les clients finaux ne profitent pas d’un service mobilisant des auto-entrepreneurs, il s’agit de particuliers qui, pour la grande majorité d’entre eux, tentent au travers de ces mises en location, de se faire un peu d’argent complémentaire ainsi que de rencontrer de nouvelles personnes. De plus, l’impact sur l’offre d’hébergement existante, souvent avancée comme important, est dans les faits nul ou presque nul3.
Et demain ?
Le sujet de cette attalisation de l’économie est vaste et complexe, les « effets de bord » de la création du régime d’auto-entrepreneur sont nombreux. On constate par exemple un nombre accru de dérives tournant notamment autour de la logique de travail salarié déguisé comme en témoigne cet article du Monde paru le 20 janvier 2016. Et en effet, un nombre croissant d’emplois sont proposés sous ce statut et sont presque totalement indétectables. Des commerciaux multi-cartes, des pigistes, des graphistes, des diagnostiqueurs immobiliers se voient ainsi proposer des missions qu’ils auront à facturer eux-mêmes à ce qui aurait pu être leur employeur, ce qui donne des idées de création de sociétés d’apporteurs d’affaires pour des travailleurs indépendants…
Nous vous le disions, cette attalisation de l’économie entraîne des effets multiples et en cascade, comme Coopcycle, une plateforme de livraison de repas à vélo crée par des auto-entrepreneurs, collaborative, permettant d’organiser localement une coopérative de coursiers en se passant des opérateurs en place.
Comme quoi il n’y a pas que de mauvaises choses dans l’attalisation !
Allez, un petit dernier truc, puisque c’est dans le champ. Ces évolutions qu’on essaye de nous faire passer pour une Uberisation de l’économie sont dans les faits voulues par les financiers de la zone Euro depuis bien longtemps et appliquées en Allemagne depuis le début des années 2000. Un excellent reportage fait par Fakir en mars 2012 dont vous trouvez l’essentiel en suivant ce lien. Si vous êtes pressés ou que vous refusez d’aller lire Fakir, l’interview parle de lui-même.
A lire aussi sur ce sujet :
La galère des bikers de deliveroo
CooCycle, plateforme coopérative de coursiers : https://coopcycle.org/fr/
Références
Liens de suivi / rétroliens