D’abord, des chiffres sur 2016 :
- 4 millions de personnes mal logées
- 12 millions de personnes fragilisées par rapport à leur logement
- Augmentation de 50% du nombre de SDF entre 2001 et 2012
- 40 000 nuitées hôtelières chaque nuit (soit près de 14,6 millions chaque année)
- 16 000 personnes vivent dans 500 bidonvilles
- 5,7 millions de personnes consacrent plus de 35% de leurs revenus au logement, contre 17,5% pour la moyenne nationale
- 6,5 millions de ménages ont bénéficié d’une aide au logement pour un montant total de 17,4 milliards d’euros, soit 223€ par mois en moyenne1
- La prestation de logement n’est pas versée si son montant est inférieur à 15 euros. 50 000 personnes ne touchent entre 15 et 19 € par mois
- 30% de la population gagne moins de 1 200€ net par mois, 20% gagnent plus de 2 200€ net par mois, 3% seulement gagnent plus de 4 000€ net par mois
- Augmentation de 44% du nombre de Français à se priver de chauffage à cause de son coût, 20% de plus à être hébergés chez des tiers, ou encore 6% de plus à être en situation de surpeuplement de leur logement.
- 2% d’impayés locatifs jusqu’en 2005, en augmentation depuis (2,5 à 3%)
Ces quelques données sont extraites du 22ème rapport sur le mal logement élaboré par la Fondation Abbé Pierre , d’une étude du Crédoc établie en 2010 sur les « Difficultés de logement des classes moyennes et les besoins de mobilité résidentielle« , commandée par la société PERL 2, de données issues de l’enquête Sans-Domicile de l’Insee et de l’enquête nationale logement conduite par l’Insee tous les 2 à 3 ans.
Des chiffres clefs qui à eux seuls suffisent à montrer l’importance de la question du logement en France. S’il le fallait encore.
…ensuite un état des lieux qui témoigne de l’urgence et dégage 15 pistes
Le 31 janvier dernier à la Défense à Paris près de 3 000 personnes ont assisté à la présentation d’un état des lieux du mal logement en France, à l’appui d’un travail de fond réalisé par la Fondation Abbé Pierre3 que chacun peut retrouver dans le document de 430 pages richement documentées disponible en téléchargement. 15 propositions concrètes visant à lutter contre la crise du logement sont développées tout au long de plus de 220 pages, complétées par 148 pages de tableaux de bord et données chiffrées.
Le rôle actif, expert et la force de proposition de la fondation qui tient ici un rôle majeur est largement apprécié, elle occupe une place de vigie que bon nombre d’acteurs engagés sur les questions du logement en France lui sont gré d’assurer avec autant de professionnalisme.
Actualité oblige, 6 candidats à l’élection présidentielle avaient été invités à présenter leurs engagements en matière de logement et à en débattre avec Christophe Robert et Manuel Domergue, respectivement Délégué Général et Directeur des Etudes de la FAP.
La journée, animée par Marjorie Paillon le matin, et Audrey Pulvar l’après-midi, fut donc l’occasion de faire le point sur la situation du mal logement en France ainsi que des principaux leviers à utiliser pour lutter contre. Tant par sa forme que par son fond nous avons assisté à une sorte de grand reportage sur un sujet sensible et lourd d’enjeux.
D’ailleurs Emmanuelle COSSE, ancienne ministre du logement, en introduction de cette journée, a témoigné de l’action du précédent gouvernement sur le quinquennat qui se terminait :
Le rapport de la Fondation Abbé Pierre nous rappelle chaque année à l’impérieuse nécessité d’agir…
Ces mots mis ici en exergue résonnent fortement aujourd’hui à l’aune de la récente décision prise par le gouvernement de diminuer de 5€ par mois et par foyer les APL.
La presse et les médiats se sont largement fait l’écho de cet événement annuel majeur pour toute personne concernée de près ou de loin par la question du mal logement dans notre pays, un sujet qui s’est invité sur de nombreux plateaux télé et émissions de radio.
Bref, il n’était pas possible de passer au travers de l’information et presque inutile de revenir à nouveau sur ce sujet tant il semblait que les choses étaient claires.
Pourtant l’actualité parlementaire puis les différentes discussions auxquelles nous assistons autour de la diminution de l’APL, les difficultés de logement que rencontrent en ce moment les étudiants avant la rentrée, et plus globalement les informations que nous pouvons tous avoir à disposition autour des problématiques liées au logement nous invitent à revenir sur quelques points essentiels.
Soyons clair, eu égard aux enjeux en matière de logement, aux constats faits par les professionnels du secteur, qui sont confrontés sur toute la France à de nombreuses situations concrètes, ainsi qu’au travers de l’éclairage apporté par le rapport, cette annonce donne un très mauvais message en matière de politique liée au logement tant le décalage entre les besoins existants et les objectifs recherchés par cette mesure sont abyssaux.
Cette décision, si elle était appliquée, aura d’ailleurs pour effet de faire sortir du dispositif près de 50 000 foyers qui touchaient entre 15 et 19 Euros de prestation, par effet de seuil, puisque les prestations de moins de 15 euros ne sont pas versées, soit une perte sèche de plus de 228€ et non pas seulement 60 € à l’année pour ceux-là. On cherche encore la pertinence du raisonnement.
Seule une comptabilité analytique et en silo peut, éventuellement, laisser penser que la décision de diminuer les APL serait une bonne mesure. La mettre en application et déjà même la voter n’est possible qu’à condition d’arrêter le raisonnement à ce niveau et de nier les difficultés auxquelles sont confrontés nos concitoyens, concernés au premier chef, ainsi que les effets de bords et autres dommages collatéraux inévitables d’une telle mesure.
Si le gouvernement prend conscience, tard peut-être, mais encore à temps, de la « connerie sans nom » qu’il vient de faire alors serait-il bien avisé de se pencher sur le gain collectif en consacrant l’énergie de la force publique à résoudre la problématique du mal logement dans notre pays.
Croire, comme le député Thierry Solère, qu’à terme cette baisse des APL pourra avoir un impact vertueux sur la baisse des prix demandés par les propriétaires est faire fi encore une fois du fait que 5,7 millions de personnes consacrent plus de 35% de leurs revenus au logement, c’est à dire que quel que soit le montant du loyer ces derniers payent beaucoup parce qu’ils n’ont pas le choix. Pire encore au vu des profils de ceux qui nous servent ici cet horoscope, et c’est sans doute ce qui est le plus surprenant, un tel raisonnement bafoue les règles d’économie les plus élémentaires puisque ce qui fait le montant d’un logement, en acquisition ou en location, est précisément une question d’offre et de demande. Rapporté à la population le nombre de résidences principales est même un des plus faible d’Europe.4
Résoudre la problématique du montant des loyers passe avant toute chose par une augmentation du rythme de construction de logements. C’est aussi simple que ça, quels que soient les bons conseils diffusés ici ou là.
Christophe Robert, délégué général de la FAP, ajoute, avec la force et la conviction pour ce qui relève de l’évidence :
Le logement est un puissant levier de relance économique, un vecteur central de la politique environnementale, un pivot avec l’emploi du développement économique et de l’action sociale
Alors avancer sur ces questions ne serait donc qu’une question de point de vue ?
Assurément oui, comme souvent, et si tous sont respectables certains engagements en politique supposent de savoir dépasser le sien.
On ne peut que déplorer cette approche par trop bureaucratique, digne d’une partie test de Sim City réalisée en mode Ninja Punk. Les différentes saillies entendues ici ou là de la part de quelques personnalités politiques venant défendre l’idée de cette mesure, en raison de la simplicité du raisonnement, ne viennent que conforter l’impression d’un éloignement du bon sens et de l’humanisme. Qu’est-ce qui peut ainsi motiver la décision de diminuer de façon uniforme le montant de l’APL si ce n’est une certaine ignorance, ou à tout le moins forte méconnaissance, de la réalité d’une portion croissante de la population face au logement ?
Ici les mots d’Emmanuelle Cosse prennent un vrai sens :
C’est [le logement] une bataille culturelle que nous avons à mener.
Le confort personnel dont bénéficient les uns et les autres ne saurait occulter les réelles difficultés que rencontre un nombre croissant de Français pour se loger dans de bonnes conditions, ou se loger tout court.
De Vernon Subutex, l’ange déchu de Virginie Despentes à Katie dans « Moi, James Blake » de Ken Loach, en passant par Simon, travailleur pauvre vivant dans sa voiture dans « Bird People« 5 de Pascale Ferrand ou encore Jake et Tony dans « Little Men » (« Brooklyn Village » pour le titre français) ou Boris dans « L’économie du couple », la littérature et le cinéma regorgent d’illustrations concrètes des tensions actuelles et urgentes liées au logement. Chacun peut les regarder en étant confortablement installé chez soi, mais gardons à l’esprit que ces situations nous concernent tous.
Si l’acronyme SDF contribue par son usage à laisser penser que le problème de cette part croissante de la population Française résiderait dans le fait que le domicile ne serait pas fixe, la réalité n’est autre que celle-ci : les SDF sont avant tout des Sans Domicile tout court. Nuance.
Les mots sont habiles à nous détourner parfois du vrai sens des choses.
La vraie vie, quant à elle, sait mettre certains d’entre nous face à des réalités dont ils se passeraient bien et qui, le plus souvent, sont vécues dans la honte et trop confidentiellement portées à la connaissance du grand public.
Chacun en conviendra, les regarder en face ne saurait laisser indifférent.
Quant au fait que cette décision ne serait qu’une application des engagements pris par le gouvernement précédent un article récent de Marianne permet de tirer les choses au clair.
Oui, assurément, la nécessité d’agir est bien là, mais agir correctement avant toute chose.
Références