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Quand Spotify m’a proposé l’écoute d’une nouvelle série audio au nom de Le nuage, je n’ai pas hésité une seconde. Le soir même j’ai chaussé mon fidèle Zik V1.1, et lancé le premier épisode du Podcast dans la foulée. Il s’ouvre sur quelques notes de contrebasse, reprises par en écho par le doux chantonnement d’une femme, le son de la clenche d’une porte qu’on ouvre, puis une radio se met en route. On distingue à peine les pas d’une personne dans la maison, c’est sans doute la femme qui chantonnait quelques secondes plus tôt. Elle allume la radio. L’animateur de Radio Rhône-Alpes nous indique que nous sommes le dimanche 25 août 2020 1, et qu’il est 7h25, il annonce la météo. Inès, la météorologue de la station, nous rappelle que nous sommes au 16ème jour de canicule, que la vague de chaleur venant du Sahara se poursuit. 37 département sont placés en vigilance rouge, des pics de température sont constatés à Lyon où il fait plus de 43,6° à Lyon et 43,4° à Aix-en-Provence. Les mesures de restriction d’eau sont renforcées dans 86 départements.

Dans la maison un homme se lève, il salut son amour et l’embrasse. Il lui demande si elle a eu des nouvelles de la centrale, elle lui répond qu’elle a eu un certain Trimardain au téléphone une heure auparavant, c’est lui qui est d’astreinte pour le week-end. D’ailleurs il rappelle à l’instant. Elle décroche et semble un peu inquiète.

Madame la directrice ?

Trimadain l’informe que le réacteur 2 présente des signes anormaux de surchauffe, les jauges indiquent que la température de la cuve a augmenté, les pompes du circuit externe ont visiblement un problème. La directrice de la centrale lui demande alors d’envoyer une équipe de maintenance et l’informe, on la devine déterminée et résignée (c’est dimanche), qu’elle arrive tout de suite.

« Le Nuage » est une fiction d’anticipation du studio Nouvelles Écoutes qui traite d’une catastrophe nucléaire en France, en cinq épisodes de vingt minutes, disponible sur Spotify depuis le 30 janvier 2020. Nous sommes en août 2020. A la vieille centrale du Douvrey (fictive bien entendu), près de Lyon, un des réacteurs est en surchauffe à la suite de l’obstruction du circuit d’arrivée d’eau du Rhône, chargée de refroidir le réacteur, par des algues qui prolifèrent en raison de la canicule. Nous allons suivre Julia Roch-Rivière, la directrice de la centrale, qui pendant ces cinq épisodes va gérer la situation de crise avec son équipe, les autorités préfectorales, l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) et Matignon.

La série couvre cinq jours de crise pendant lesquels nous allons suivre l’évolution d’un incident majeur dans une centrale. La série est haletante, immersive, très bien réalisée, tant d’un point de vue technique que narratif, et il est difficile de ne pas tout écouter en une seule fois.

Interrogé par Le Monde dans un article publié le 30 janvier 2020 Julien Nouvelle, cofondateur du studio Nouvelles Écoutes, indique que « Le récit est basé sur des scénarios d’experts du nucléaire. C’est littéralement ce qui peut se passer. » Le quotidien, que nous reprenons ici, ajoute que « Trois personnes ont travaillé à l’écriture du scénario, très documenté : Fleur Gorre, de l’ONG Générations futures, la journaliste Natalia Gallois et la scénariste Zoé Gabillet ». Enfin Julien Neuville, qui est aussi producteur de cette série, précise que « Les productions Nouvelles Écoutes traitent d’importants sujets de société de façon pour informer et marquer ».

Une ambition qui engage les auteurs et les réalisateurs.

Et en effet, du vocabulaire employé aux détails techniques de la surchauffe d’un des réacteurs de la centrale, de la quête d’informations des journalistes à la façon dont le chef du gouvernement, la préfète ou le directeur de EDF gèrent la situation, jusque dans les relations avec un pays frontalier, on ne peut nier que la série est profondément ancrée dans le réel. Elle présente même un côté anxiogène qui n’a pas été sans me faire penser à la façon dont le nucléaire est traité en France et, de façon plus générale, dans certains pays en Europe. Et, sans dévoiler l’histoire, et ici réside le plus grave, le dernier épisode conclu sans équivoque possible sur la dangerosité du nucléaire, sur fond de « Cela fait bien longtemps qu’on vous le dit. »

Je suis loin d’être un expert en matière de nucléaire, mais je me sens autorisé à dire que je dispose d’une certaine culture, acquise au fil de mes recherches lors d’un important travail mené entre 2010 et 2016 sur le dossier de l’énergie. Ces travaux m’ont tous conduit à mesurer ce en quoi la réalité pouvait, sur ce sujet comme tant d’autres d’ailleurs, être très éloignée de l’information facilement accessible sur les réseaux sociaux et de nombreux médias, voire même d’ONG dont certaines font preuve d’une méconnaissance coupable. A cela rien d’étonnant, l’approche de questions complexes exige un investissement important. Il est même dommage que je me contente ici d’un seul article sur un sujet aussi complexe tant il faudrait des heures entières pour bien et objectivement le comprendre.

J’ai cherché à savoir si, au delà d’une certaine vraisemblance de l’histoire, largement servie par l’emploi de termes techniques empruntés au lexique du nucléaire, le scénario servi par « Le nuage » était réaliste, et donc, d’une certaine façon, probable.

J’ai souhaité interroger Tristan Kamin, ingénieur et vulgarisateur en sureté nucléaire, dont je suis avec intérêt les productions sur Atlantico, ainsi que quelques coups de gueule qu’il peut avoir sur Twitter (agacé par les idées reçues sur le nucléaire, il a développé un goût pour la vulgarisation et le « fact-checking » et utilise les réseaux sociaux pour remettre les vérités scientifiques au cœur des débats.). 2

Un écart important entre l’ancrage dans le réel et la façon dont le sujet est traité

Tristan Kamin, contacté ce 1er février, résume son point de vue sur la série en quelques mots. Après avoir écouté les deux premiers épisodes il a constaté une »dissonance liée« , selon lui « à l’écart entre l’ancrage dans le réel et la façon dont c’est traité. Dans la vraie vie le réacteur aurait été mis à l’arrêt bien avant l’emballement. Si les points abordés sont bien réels, les problèmes, eux, ne le sont pas. ».

Il m’a rappelé à ce titre que la série s’appuyait sur un incident rencontré dans la nuit du 1er au 2 décembre 2009 à la centrale de Cruas-Meysse. Une importante masse d’algues charriée par le Rhône en raisons des fortes pluies des jours précédents avait fini sa course en obstruant les stations de pompage du circuit de refroidissement de la voie A, puis de la voie B. « L’eau du Rhône étant temporairement inaccessible, il a fallu faire appel à d’autres sources d’eau froide », explique alors Véronique Bertrand, ingénieure spécialiste des sources froides à l’Institut. On est très proche de l’incident auquel doit faire face Julia Roch-Rivière. L’industrie du nucléaire a bien évidemment tiré les enseignements d’un tel incident dont les conséquences, en 2009, avaient déjà été très limitées.

Comme si l’important était de montrer ce qui allait mal avant tout.

Si Tristan Kamin reconnait qu’ « un vrai effort » a été fait « pour ancrer tout ça dans la réalité », il est sans concession sur les défauts de l’approche narrative de l’incident.

Pour lui, « On a des personnages supposés experts qui parlent en s’adressant à un public (nous) non initié. Ils énoncent chaque sigle ou acronyme, ils s’expliquent entre eux ce qui passe pour des banalités quand on connaît, c’est pas technique… Normal pour s’adresser au grand public, surtout juste en audio, mais le résultat est que tout sonne faux. Mais les épisodes 1 et 2 racontent la chronologie de l’accident, ce qui arrive au réacteur pour arriver à l’accident grave, les causes, les péripéties de l’exploitant, et comment on arrive aux conséquences qui embrayent sur la suite de l’histoire. Et c’est une catastrophe. Alors oui, on parle de circuit primaire, secondaire, de générateurs de vapeurs, de pompes de refroidissement obstruées par les algues, de Diesel d’Ultime Secours pas encore fonctionnels… Mais on « parle de ».

Une approximation qui, selon lui, dessert le réalisme et la science, dont plusieurs principes sont même bafoués.

Toute l’explication technique se vautre. Les différents circuits sont mélangés et nommés n’importe comment, le fonctionnement normal du réacteur n’est pas maîtrisé, son fonctionnement accidentel encore moins, l’organisation de la centrale, le pilotage des réacteurs, tout est un vaste flou. Même, au-delà de l’ingénierie des systèmes réacteurs, c’est la physique qui est malmenée. Ils décident de stopper la réaction en chaîne plusieurs heures après le moment où elle aurait été interrompue automatiquement dans la réalité. Mais ça ne marche pas. Pourquoi la gravité qui fait tomber les barres ne marcherait pas ? Et du coup on est sur un cœur qui reste en puissance, donc un problème d’échauffement. Mais avec des délais d’échauffement qui se comptent en dizaines de minutes voire en heures. Alors qu’avec un cœur en puissance, c’est en secondes, minutes tout au plus, que les événements s’enchaîneraient. Je pense que les auteurs n’avaient pas assimilé le concept de « puissance résiduelle », ces quelques pourcents de la puissance du cœur qui viennent de la radioactivité, pas de la réaction en chaîne, et qui nécessitent de garder le refroidissement même à l’arrêt de la réaction en chaîne. Et du coup pour avoir une fusion du cœur, la seule solution pour eux c’était d’avoir un cœur hors de contrôle… »3.

Appuyer un peu sur ce qui ne va pas

Oui, il est clair que pour que l’histoire se tienne il fallait appuyer un peu sur ce qui n’allait pas, afin d’arriver là où voulaient nous amener les auteurs de cette série, au demeurant très bien faite, si l’on excepte les procédés quelque peu simplistes qui nous conduisent de l’origine de l’incident de cette centrale à la catastrophe.

Car c’est là où le bât blesse, à plus forte raison en raison des ambitions affichées des auteurs. Ni les causes du réchauffement climatique ni le rôle que joue le nucléaire sur la place de la France à l’échelle mondiale en qualité de pays le moins émetteur de dioxyde de carbone dans l’activité de production d’électricité 4 ne sont remis en question par le GIEC dans son dernier, et son précédent rapport. Réduire nos émissions de CO2 passe par avant toute chose par une diminution drastique de nos consommations, et ce à l’échelle mondiale. Or il semble que nous en soyons incapables. Les ENR, de par leur irrégularité de production, sont très loin d’être en capacité de nous permettre un maintien actuel de nos habitudes de consommations et de nos conditions de vie.

En l’attente, le nucléaire, qu’on le veuille ou pas, est la seule façon de ne pas déstabiliser gravement l’équilibre de nos pays. L’Allemagne le découvre à ses dépends5.

Pour ma part, et pour éviter toute interprétation, je suis pro-sobriété avant toute chose, et ai d’ailleurs agit à ce titre dans le cadre de ma précédente entreprise au travers du développement d’une solution logicielle permettant de prendre conscience des effets de nos comportements et modes de vie sur nos consommations.

Il importe de ne pas diaboliser l’énergie nucléaire si l’on veut, collectivement, agir pour le climat, la faune, la flore et, sans nul doute, d’innombrables autres sujets qui tous participent à la relative paix et l’équilibre que nous avons dans le monde.

Pour conclure je vous invite à découvrir Tristan Kamin au travers d’une intervention qu’il a donné aux Universités d’été 2019 de l’ordre des experts comptables dans le cadre de la Grande conférence « Et si c’était mieux (qu’)avant ? ».

En bonus l’entretien de Jean-Marc Jancovici au micro de Guillaume Erner lors de l’émission du 7/11/2019 sur France Culture. Jean-Marc Jancovici est ingénieur français, chef d’entreprise et consultant. Il est également enseignant, conférencier, auteur de livres et chroniqueur indépendant. Il est essentiellement connu pour son travail de sensibilisation et de vulgarisation sur les thèmes de l’énergie et du climat.

N’hésitez pas à réagir, commenter, compléter, apporter d’autres éléments factuels, et ainsi participer à une amélioration de la connaissance. Les enjeux sont majeurs, nous le savons tous.

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