L’annonce de la prochaine disparition du RSI réjouit la majeure partie des indépendants, commerçants, artisans, et on le comprend. Des abus de cet organisme de sécurité sociale un peu particulier sont dénoncés par les professionnels concernés depuis des années, appuyés par nombre de leurs comptables. Ces derniers sont en effet en prise avec les nombreuses relances de paiement dont font l’objet leurs clients dont ils connaissent les irrégularités de revenus, en totale contradiction avec l’implacable régularité des paiements demandés.
La détresse de cette catégorie de la population face aux assauts (il n’y a pas d’autres mots) de l’organisme chargé de collecter les cotisations liées aux prises en charge des maladies et des retraites est souvent dénoncée. Pourtant la situation ne s’améliore pas, les relations sont, comme dans les abattoirs, totalement déshumanisées. Loin des yeux, loin du cœur, sans doute est-ce un passage obligé pour continuer à faire pression sur les indépendants afin d’obtenir les paiements demandés, avec le moins de doute possible sur le bien-fondé de la démarche . Les demandes d’explications restent souvent sans réponse, celles de délai tout autant. En 2016, des personnes rattachées à cet organisme n’ont pas hésité à mettre en scène leur suicide pour tenter, en vain malheureusement, de se faire entendre par lui, comme ici à Besançon en décembre 2016. Le directeur de l’agence a déclaré qu’il n’allait pas les recevoir en raison du mode d’opération choisi. Que devaient-ils faire ?
Pour bien comprendre ce que vivent ces travailleurs indépendants :
Vous êtes déjà sous pression, votre client dont le chantier devait démarrer la semaine prochaine vient de le décaler au mois prochain afin de pouvoir payer la taxe d’habitation qu’il vient de recevoir et à laquelle il ne s’attendait pas. Vous le comprenez, mais c’est la seconde fois cette semaine que votre planning est modifié, et pourtant vous avez déjà commandé et payé le matériel pour ces affaires afin de ne pas prendre de retard. Vous comptiez sur ces deux contrats pour pouvoir vous payer ce mois-ci, vous avez dû y renoncer le mois dernier pour pouvoir régler le loyer trimestriel de votre atelier et le mois prochain vous aurez vous aussi la taxe professionnelle à payer. Vous allez devoir relancer d’autres clients afin de voir s’il n’y a pas moyen de faire entrer un peu d’argent. Vous commencez vos appels quand on sonne à la porte. Vous ouvrez, vous comprenez tout de suite : c’est certainement l’huissier envoyé par RSI. L’homme en face de vous vous le confirme. Oh bien entendu vous n’êtes pas tout à fait surpris parce que vous aviez reçu des relances de la part de RSI, mais vous contestiez le montant des paiements. Et puis vous n’aviez pas l’argent. Vous n’avez pas réussi à avoir quelqu’un au bout du fil malgré vos multiples appels. Alors vous avez décidé de revoir ça plus tard. Malheureusement pour vous, le RSI n’a pas attendu, alors vous négociez comme vous le pouvez avec l’huissier. Il vous dit que vous devez 7 457 €. Vous savez que le montant est faux, mais il vous montre la réquisition officielle de RSI ainsi que la copie des courriers de relance que vous avez reçus. De votre côté vous n’aviez même pas envoyé de courrier, vous aviez autre chose à faire. L’huissier menace de saisir vos biens si vous ne réglez pas ce que vous devez sous 48h. Vous arrivez à négocier un premier paiement aujourd’hui et le solde dans 15 jours. Vous faites un chèque de 3 000€, (il n’a pas voulu descendre au-dessous), la mort dans l’âme. C’est un peu plus que le salaire que vous comptiez vous verser pour deux mois de travail et vous ne savez pas comment vous allez faire pour payer ce qui reste.
Voici donc la réalité, dure et sans fard, de ce que sont les relations avec RSI. Pour reprendre Luc, un ancien patron d’une TPE qui a eu plus qu’à son tour affaire avec cet organisme :
Tant que ton activité fonctionne tu payes ce que RSI demande sans trop regarder. Puis, quand ça commence à tirer dur, que certains mois sont creux, tu regardes autrement les appels de cotisation de RSI, et là c’est le délire total. Non seulement tu dois payer même si tu n’as plus de chiffre d’affaire, mais de plus l’opacité est totale.
Cela n’empêche pas cet organisme collecteur de s’offrir de très belles conditions de vie, comme ici récemment à Rennes avec un siège social à dix millions d’euros payés par les cotisations des indépendants 2, ou encore d’augmenter des dirigeants de RSI qui ont ainsi vu leur salaire augmenter de plus de 13% en 2016.
« Shame ! » … aimerions-nous entendre, les responsables de ce désastre marchant parmi les indépendants dont ils détruisent la vie sous couvert d’obligations légales. Cette scène épique de Game of Throne a déjà inspiré un fabricant d’appareils à bulles, pourquoi ne pas faire de même avec quelques patrons des caisses de RSI les plus retors ? Allez, je vous laisse imaginer le correspondant administratif de votre choix suivi par cette religieuse à la cloche si déterminée dans les rues de votre ville. Quelques instants de pur plaisir, et nous nous nous retrouvons pour la suite de cet article !
Alors qu’en est-il vraiment ?
Si l’on en croit le dossier réalisé par L’Express en février 2017 les indépendants ne seraient pas vraiment moins bien lotis que les salariés. L’hebdomadaire souligne toutefois que la perception du poids de ces paiements pour les indépendants est perçu comme plus fort parce qu’ils font eux-mêmes le chèque, souvent conséquent, pour les paiements demandés. Pour les salariés l’opération est indolore puisque traitée au niveau de l’employeur. On ne peut être plus clair en effet : la différence de perception est de taille dès lors que le paiement se fait par le premier concerné lui-même.
Nul doute que le dossier de l’assurance chômage ou de la sécurité sociale serait autrement plus difficile à traiter si les salariés devaient eux-mêmes cotiser chaque mois.
D’ailleurs n’est ce pas un peu l’idée du prélèvement à la source pour l’impôt ? Une digression que vous nous pardonnerez…
Des différences de prise en charge en cas de maladie ou d’accident du travail, plus faibles pour les indépendants, une intransigeance quant au moindre retard de paiement, voici quelques éléments qui pèsent sur les indépendants, qui peuvent toutefois bénéficier d’avantages fiscaux comme ceux permis par la Loi Madelin et qui concernent la mutuelle. Mais rien qui justifie la colère généralisée, qui prend ses sources ailleurs.
Chiffres clés 2016
Source : site RSI
- 6,5 millions de chef d’entreprise indépendants actifs et retraités et leurs ayants droit
- 4,6 millions de bénéficiaires de prestations maladie
8,6 milliards d’€ en Assurance maladie - 18,3 milliards d’€ de prestations versées
- 2 millions de retraités
9,2 milliards d’€ de pensions de retraite versées - 108 millions d’€ d’aides versées au titre de l’action sociale
Qu’en pense le directeur général de RSI ?
Selon Stéphane Seiller, Directeur Général de RSI, « fondamentalement la situation s’améliore » 3. Pour lui, les mauvais avis sur les différentes caisses de RSI seraient infondés. Il souligne l’importance du rôle de guichet unique désormais correctement en place 4, les difficultés informatiques rencontrées en passe d’être résolues, et le fait que les différentes caisses feraient correctement leur travail.
La disparition du RSI, une solution à tous les maux ?
Dans son livre « Kleptocratie française » Elise Benhamou, comptable de profession, met en évidence certains des graves travers de RSI. Elle fait part de son étonnement depuis la découverte du statut juridique de RSI (en fait une société privée) jusqu’à la façon dont les différentes caisses n’hésitent pas à pratiquer un véritable harcèlement des indépendants les plus démunis, conduisant certains au suicide.
On ne peut nier non plus, et ces propos n’engagent que l’auteur de cet article, une certaine complicité ou complaisance de quelques huissiers qui, bien que connaissant les erreurs du RSI, nombreuses et indiscutables, acceptent malgré tout la mission confiée. Les gens malhonnêtes se trouvent dans toutes les professions !
Alors, puisque les faits parlent d’eux-mêmes, que RSI n’a que peu, voire aucune légitimité auprès des indépendants, et qu’aucune amélioration ne saurait effacer une telle mauvaise perception dans l’opinion des premiers concernés, il n’y a d’autre issue que la dissolution de cet organisme.
Pour autant, aucun autre organisme ne pourra apporter d’amélioration à la situation si les caractéristiques fondamentales du travail indépendant ne sont pas clairement identifiées et prises en compte.
Elles ne sont pas nombreuses à être ESSENTIELLES et concernent toutes les particularités des travailleurs indépendants :
- Irrégularité des affaires et donc des revenus, le montant des cotisations prélevées doit donc coller au plus près aux rémunérations versées chaque mois. Un décalage de plus d’un trimestre entre le salaire que l’indépendant se verse et le montant de la cotisation qu’il doit verser ne peut que contribuer à une très mauvaise perception du montant prélevé.
- La difficulté à prévoir les entrées d’argent est directement liée au chiffre d’affaire : plus ce dernier est faible moins les prévisions sont possibles
- Un profond attachement d’un travailleur indépendant à son activité, répartie entre la recherche de nouveaux clients et la réalisation des contrats passés. Le volet administratif d’une activité constitue une charge le plus souvent désagréable imposée à un être humain, perçue comme totalement contre-productive.
- Un travailleur indépendant est habitué à répondre rapidement à ses clients, le fait de devoir appeler, attendre, rappeler, attendre à nouveau, pour avoir une réponse à une question administrative est très difficile à comprendre et à vivre
- Le taux d’arrêt maladie au sein des travailleurs indépendants est plus faible qu’au sein de la population salariée en raison du lien fort existant entre la présence du travailleur indépendant à son travail et le chiffre d’affaire de son activité. Ceci rend donc encore plus sensible le rapport que les indépendants ont avec les organismes en charge de la collecte des cotisations liée à la prévoyance
En d’autres mots, si la dissolution du RSI est incontournable et la mise à l’écart de ses actuels dirigeants indispensable (en raison de leur incapacité inacceptable à comprendre les origines des maux rencontrés) la mise en place du prochain dispositif doit s’accompagner d’une refonte totale du mode de relation avec les principaux concernés dont la vie ne ressemble pas à celle d’un salarié.
A défaut de cet effort de compréhension et d’empathie, toute tentative de création d’un nouvel organisme serait vouée à l’échec et viendrait renforcer la volonté de sécession déjà présente au sein des indépendants.
A l’heure où notre société s’attalise de façon croissante 5 il devient urgent de se pencher avec pragmatisme sur ce sujet.
Une refonte qui ne pourra se faire sans se pencher sur la formation des indépendants à l’environnement socio-administratif de leur activité, des différents régimes de protection existant, des obligations légales, des offres facultatives…
Sources complémentaires ayant servi à l’élaboration de cet article
http://www.entreprise.news/rsi-le-nouveau-siege-a-rennes-a-coute-10-millions-e-aux-independants/
https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-05-septembre-2017
https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/ils-simulent-un-suicide-collectif-operation-spectaculaire-d-independants-anti-rsi-besancon-1482146093
https://www.youtube.com/watch?v=d_FH1n8pbWA corruption d’un agent de RSI
Elise Benhamou : https://www.youtube.com/watch?v=-82H_2bLM-A « Kleptocratie française »
Références